L’expérience fondatrice
Ce qui caractérise la pédagogie jésuite, ce n’est pas d’abord un système éducatif, mais bien sa référence relue et actualisée à l’expérience fondatrice d’Ignace de Loyola.
Cette expérience est celle d’un parcours de pèlerin, avec ses essais et erreurs. La relecture de ce qui se passe en lui, quand il rêve ou quand il médite sur la vie de Jésus de Nazareth va être l’occasion pour Ignace de prises de décisions libres, éminemment personnelles et en constante évolution. Tout au long de sa vie, il verra dans les mouvements affectifs, de paix ou de trouble, d’accroissement ou de déperdition d’énergie vitale, des indicateurs précieux pour prendre ses décisions.
Ce parcours personnel, Ignace l’a traduit en pédagogie dans ce livret du maître que sont les « Exercices Spirituels ». La dynamique fondamentale de ceux-ci consiste à proposer des exercices de méditation et de réflexion, en vue de faire des choix personnels et libres : ouvrir le goût ; susciter le « chercher et trouver » personnel qui mobilise la mémoire, l’intelligence et la volonté ; donner des outils pour relire ce qui se passe et en tirer du fruit. Cette dynamique reste la source vivante de la pédagogie jésuite.
Une pédagogie de l’expérimentation
Le but premier de la pédagogie jésuite est la formation de personnes adultes, insérés dans leur culture, positivement ouverts sur le monde, et capables de faire des choix libres et citoyens. Cette liberté et cette solidarité citoyenne se construisent à travers un ensemble structuré de démarches corporelles, artistiques, intellectuelles et spirituelles qui prennent en compte la globalité de la personne (cura personalis). L’expérimentation personnelle et la relecture sont le creuset qui va permettre de « former des hommes et des femmes pour et avec les autres », des personnes de conscience, compétence, compassion et engagement.
Conscience. Apprendre à ouvrir les yeux et les oreilles, sur soi, sur autrui, sur la réalité dans toute sa complexité ; apprendre la précision du regard, de l’écoute et la distance critique qui permet d’analyser et de juger (dimension éthique); apprendre à passer de l’émotion ou de la prise de position à l’action.
Compétence. Du point de vue de l’éducateur, la compétence résidera dans une intégration non seulement de la discipline enseignée, mais aussi, avec un a priori positif, des développements scientifiques et anthropologiques qui permettent une mise en œuvre plus ajustée de l’acte éducatif : neurosciences, intelligences multiples, apprentissage collaboratif.
Compassion et engagement. L’ouverture des yeux, comme le développement de compétences à travers les disciplines tant manuelles, qu’artistiques, littéraires ou scientifiques, atteindront leur pleine dimension dans la rencontre avec l’autre. Toucher et se laisser toucher ; ressentir la joie et la souffrance de l’autre ; se laisser interpeler par l’injustice ou les situations d’urgence. Et puis, agir, s’engager, vivre la solidarité.
Sous le regard bienveillant et exigeant de l’éducateur, le jeune va ainsi exercer mémoire, intelligence et volonté et, pas à pas, apprendre à poser les choix libres et éclairés qui l’engagent chaque jour davantage, dans la construction durable de la « maison commune » qu’est notre terre.
Bernard Peeters sj 2018
Article remanié de En Questions, Trimestriel du Centre AVEC, n°121 (2017/2)